Jean-Michel Pilc vient d’enregistrer son quatrième album en solo intitulé Parallel, qui sort le 1er juin 2018 sous le label néerlandais Challenge records. Cette œuvre se présente sous la forme d’un double album de pièces musicales, à la fois des compositions et des arrangements de standards. Un opus qui reflète l’originalité et la pureté de l’expression qui caractérisent le pianiste, musicalement et humainement. Arrêt du temps pour une interview de l’un des meilleurs pianistes de jazz actuels.
Yaël Angel : Pourquoi un quatrième album en solo ?
Jean-Michel Pilc : Je n’ai pas vraiment besoin de « raisons » pour faire quelque chose. Plutôt que de me poser la question du « pourquoi », je préfère me demander : « et pourquoi pas ? ». D’autant que les circonstances étaient favorables. Je venais d’enregistrer avec le contrebassiste Jasper Somsen, qui est également signé par le label Challenge Records. Or, l’été 2017, j’avais enregistré avec mon propre équipement une suite improvisée, que j’avais envie de porter à la lumière du jour. Cette partie « home recording » constitue la partie II du double album. Je suis passé en studio en janvier 2018 pour enregistrer la partie I et compléter le projet. Deux parties très différentes l’une de l’autre, deux histoires, deux modes de conception, et pourtant les deux sont mes enfants musicaux.
YA : On sent une grande spontanéité dans l’interprétation. Est-ce un album composé par l’improvisation ou y a-t-il eu une part d’écriture préalable?
JMP : « Cells » est basée sur une ligne mélodique de 12 notes et son inverse, mis bout à bout et développée sous forme de variations. Il y a donc eu une certaine préméditation, mais c’est essentiellement improvisé. La suite « Parallel » est entièrement improvisée. Certains morceaux de la partie I sont plutôt écrits, comme Your Lullaby ou Shooting Star. Mais sur la plupart des morceaux, tels que Footprints ou Minor Issue, je m’accorde une grande liberté, ce qui fait que je ne joue jamais ces morceaux de la même façon. J’aime être une personne différente à chaque fois que j’improvise.
YA : En parlant d’improvisation, vous avez un jour déclaré : « le jazz est de la musique de chambre improvisée ». Pourriez – vous expliquer cela aux lecteurs du Jazzophone ?
JMP : Improviser, c’est composer de manière instantanée. Quand on écoute les débuts du jazz, des gens comme Louis Armstrong par exemple, on se dit : « c’est comme du Bach ou du Mozart ». C’est de la musique de chambre. Tout à l’air d’avoir été prévu d’avance, mais en fait, chaque musicien improvise dans le cadre d’un discours collectif. C’est ça le jazz pour moi. Je ne retrouve malheureusement pas assez souvent cet aspect conversationnel dans le jazz moderne.
YA : Quel est le bilan de ces 20 ans à New York ? Comment s’en sort un pianiste de jazz français aux US ?
JMP : Ce furent vingt belles années qui m’ont beaucoup apporté. Mais, je peux aussi dire qu’être un jazzman européen à New York est tout sauf facile. De manière peut-être inconsciente, les acteurs américains du jazz ne vont pas spontanément vers les jazzmen européens. La réalité est qu’il y a une certaine hiérarchie, qui n’a pas forcément de rapport avec la musique.
YA : Aujourd’hui vous vivez à Montréal. What happened ?
JMP : Je m’y suis installé il y a trois ans, suite à une belle proposition qui m’a été faite d’enseigner à l’Université McGill. Lorsque j’étais plus jeune, je n’aimais pas toujours enseigner. Mais maintenant, cela me passionne. Je me considère davantage comme un coach ou un mentor que comme un professeur. J’ai récemment obtenu une bourse du Fonds de Recherche du Québec pour un projet d’improvisation collective. Nous nous réunissons tous les mardis pour nous adonner à la composition instantanée. Ce beau projet va certainement donner lieu à un documentaire. Plus je prends de l’âge, et plus ce que je joue provient d’une part de moi que je ne connais pas. Quand j’improvise, j’aime ressentir une totale impression de fraîcheur, d’innocence, comme si c’était ma première improvisation. La musique me traverse, me montrant une partie de moi qui m’est encore mystérieuse. Je suis de plus en plus centré sur ces choses qui remontent de ce « moi » inconnu. Aujourd’hui je les reçois avec joie, et je ne veux surtout pas les rationaliser.