C’est dans le cadre magnifique de la Villa Domergue à Cannes que nous avons assisté à l’un des concerts de jazz les plus originaux de l’été. Rebaptisé « Dadada » le trio se compose de Roberto Negro, piano, Emile Parisien, saxophone soprano, et Michele Rabbia batterie, samples, et vocaux, et remporta les Victoires du Jazz 2018, catégorie « Album de l’année ».
Une longue introduction rêveuse au piano, et c’est parti pour un premier morceau « Gloria poètessa » qui nous plonge directement dans l’univers du trio, qui se situe entre jazz, musique contemporaine et musiques actuelles improvisées. Nous sommes immédiatement subjugués par le flot ininterrompu de notes propulsées par le saxophone d’Emile Parisien, qui se dandine d’un pied sur l’autre tout en soufflant à s’en déchirer les poumons. Les trois hommes ont d’ailleurs en commun un rapport très physique à leur instrument, Roberto Negro se tortillant sur son tabouret de piano à la manière de Keith Jarrett, (à qui son jeu fait fortement penser) et Michele Rabbia est plus souvent debout qu’assis derrière sa batterie. Preuve de l’éclectisme du trio, ce premier morceau est enchaîné à une composition de Ligeti, ce qui indique que l’écriture stricte leur est aussi familière que l’improvisation débridée. Virtuose à proprement parler, Roberto Negro développe une série de soli fragmentés soutenus par les coups en cascade de la batterie ainsi que par divers bruitages et autres interventions vocales de Michele Rabbia.
Quant à Emile Parisien, il survole tout cela avec une ample majesté et ses incisives interventions sont comparables à des flèches acérées tirés dans le coeur la musique.
Un bref entracte, histoire de se rafraîchir d’un verre d’excellent rosé de Provence, et c’est le début de la deuxième partie, entamée sous des auspices nettement plus « roots » que la première avec un morceau commencé par Roberto Negro au piano solo avec des sonorités bluesy voire gospel, à l’instar de son mentor Keith Jarrett. Retour en terre de connaissance pour une partie du public un peu égarée par les errances « free » de la première partie. Errances en apparence uniquement, bien sur, mais suffisantes pour dérouter des partisans d’une vision plus traditionnelle et afro-américaine du Jazz. Ils seront satisfaits lors cette deuxième partie, où les trois hommes swinguent « à fond les ballons », Emile Parisien me rappelant souvent le grand Steve Grossman, ex-sideman de Miles Davis et de Elvin Jones. Cette approche « Coltranienne » d’ailleurs fit le bonheur du trio et du public, ainsi que de votre serviteur qui quitta ces magnifiques lieux dans une navette qui le déposa sur une Croisette illuminée, le sourire aux lèvres et la joie au coeur.